TABLEAU VII

Jérusalem

LE CHEVALIER.  Levez-vous. Voici que le chemin se termine. Levez-vous. Toi aussi le fou. Toi le sergent et toi la putain.

JOSEPHA.  Et François le paysan.

LE CHEVALIER.  Qu’il se lève.

CABRIOLE.  Mais il est mort par la diarrhée.

LE CHEVALIER.  Qu’il se lève.

François, à la stupéfaction de tous, sur l’ordre du chevalier “ressuscite”.

ROLAND BONNEHACHE.  Bon Dieu ! Comme dans la Bible même mieux que dans la Bible !

JOSEPHA.  Qui es-tu ?

LE CHEVALIER.  Je suis un homme.

UN HOMME (ivre de chaleur). Où sommes-nous ? Où sommes-nous ici ? L’air brûle la peau jusqu’aux entrailles.

ROLAND BONNEHACHE.  Où sommes-nous ?

LE GUERRIER.  Tu ne l’as pas deviné ?

L’HOMME. Non ! Bon Dieu non !

LE GUERRIER.  Toi non plus le fou ?

CABRIOLE.  Non.

LE CHEVALIER.  À quoi sert la folie !

CABRIOLE.  À rien !

L’HOMME. Où sommes-nous crapaud noir ?

LE CHEVALIER.  Maintenant que vos princes ont conquis leurs provinces, que vous avez mangé les terres et les hommes pour connaître ? Pour savoir ? Vous allez savoir et connaître. (Il fait un geste. Un son doublé d’une lumière accompagne l’apparition d’une muraille orangée, un crucifix est planté entouré de lances turques et différents objets islamiques, tentures, turbans, minarets ; une femme maure chante près de la croix.) Voilà la ville qui descend du ciel : Jérusalem. C’est dans son sein que se trouve la réponse. Armez-vous ! Sortez vos lances ! Car vous devez tuer les gardiens du tombeau pour en connaître le secret…

JOSEPHA.  Toi qui vois les couleurs de la nuit, toi qui sais compter les rayons du soleil, pourquoi ne dis-tu pas ?…

CABRIOLE.  Maintenant.

ROLAND BONNEHACHE.  Où nous sommes ?

TOUS.  Où nous sommes ? Pourquoi ?

LE CHEVALIER (tout au long du discours du chevalier vantant la guerre le combat commence, s’installe. Un percussionniste jouant du tam-tam au centre en rythme l’intensité). Parce qu’il me plaît de voir tentes et pavillons dressés, chevaliers et chevaux armés et me plaît quand je vois à leur suite une grande masse d’hommes et me plaît en mon cœur les palissades rompues et effondrées, masses d’armes, heaumes de couleur, les chevaux morts et les blessés. Je vous le dis je ne trouve point autant de saveur dans le manger, le boire ni le dormir qu’à entendre s’élever des deux parts le hennissement des chevaux vides et les appels “Au secours !” ; qu’à voir tomber par-delà les fossés grands et petits sur l’herbe ; qu’à voir enfin les morts qui dans leurs flancs ont encore les tronçons des lances, avec leurs pennons.

Pendant ce texte du chevalier, qui sera de préférence chanté, la guerre, l’attaque de Jérusalem, est traitée comme suit :

1. Les attributs islamiques qui entourent le crucifié tombent peu à peu.

2. De grandes toiles blanches sont tendues depuis la muraille et tombent jusqu’à terre, tandis que comédiens et chanteurs versent lentement sur elle soit avec un jet, soit avec des récipients divers, des jets rouges qui les maculent de sang.

3. Au milieu du tableau passe une procession grotesque qui marche comme une fanfare allemande (orchestration) : c’est le pape satisfait et riant, suivi par deux évêques ou deux prêtres qui sur leurs épaules portent une longue planche sur laquelle sont fichées des statues de saints (très saint-sulpiciennes) dans des positions rieuses et stupides.

4. Une fois qu’ils sont passés et que le texte du chevalier est terminé la scène est rouge, le son meurt. Le percussionniste tombe sur ses peaux.

UNE VOIX OFF (s’élève alors et dit). Le 15 juillet 1099 les croisés prirent Jérusalem.

Une lumière très violente entoure alors une grande ouverture fermée par un linge. Seules sont demeurés sur la scène Josepha, Cabriole, Roland Bonnehache et François, ainsi que le chevalier. On entend du vent siffler et c’est tout. Les voiles de l’entrée du tombeau flottent légèrement. Cabriole, Roland Bonnehache, François et Josepha s’approchent de l’entrée puis s’arrêtent. Le chevalier retire alors son casque et l’on reconnaît le récitant.

LE RÉCITANT.  Hé bien avancez ! Avancez !… Ouvrez ! Oui, oui c’est le très saint trou, le sépulcre, la boîte où rebondit LA Réponse… Avancez questionnaires de chair… Vous allez en savoir plus que le soleil si vous entrez… (Les quatre personnages avancent lentement.) Bravo encore un peu ! (Au public.) Regardez jolies vierges, instituteurs diabétiques, princes et duchesses, sous-préfets moustachus. (Les quatre personnages continuent à faire quelques pas vers l’entrée du tombeau.) Bien, bien respirez. (Au public.) Les mères vidées, ouvrez la cornée d’un coup d’ongle à vos nouveau-nés sinon ils ne vont rien voir… Allez !… Je réponds : oui à la girafe qui tousse au troisième rang ainsi qu’aux trois enfants de la propriétaire du pétrolier “Ouapiti IV” vous pouvez les accompagner… tous… ouvrez ! Croisés la croisière surprise va toucher le port. Vous allez savoir… Entrez entrez ! (Il éclate de rire. Les quatre personnages pénètrent dans le tombeau en écartant les voiles. Coups sourds. Un par un, ils ressortent, comme poussés par une épaisse fumée. Le récitant saute sur le sommet du tombeau (et si possible se saisit d’un micro), une musique jaillit sous la fumée et bientôt apparaissent dans les nuages qui se dissipent, sortant du tombeau, une série de personnages (musiciens et comédiens) le visage peint en rouge ; leurs vêtements (voir description plus bas) forment un camaïeu de vermillon pourpre, orange et noir ; ce sont des personnages modernes (une star, un homme en chapeau claque tenant un immense panneau publicitaire, un motocycliste, une vendeuse d’ice-cream, etc.) mais aussi des personnages d’autres époques (marquis, Louis XIV, dresseur d’aigles, révolutionnaires, etc.) Tous sortent accompagnés par une musique moitié fanfare moitié sourde, qui a l’éclat d’un finale mais qui transporte dans ses notes et sa construction le malaise de l’angoisse profonde. Sur cette sortie, cette procession étrange qui passe devant François, Roland Bonnehache, Cabriole et Josepha, procession accompagnée de musique mais aussi de chants et de cris, le récitant juché sur le tombeau parle dans son micro avec une jouissance qui donne à ses mots la pénétration acide des aiguilles de diamant.) “Où sommes-nous ! Où sommes-nous !(Il rit.) Mais sous la cloche de verre, larves de la mappemonde en camembert, enfermées sous la voûte lisse, sans air, bulle de marbre à peine creuse – enfer ! Enfer rond comme la terre ! Enfer d’où vous ne sortirez jamais ! Gigotez canards, vous êtes embrochés ! Enfer ! Courez, fuyez, dites des vers, racontez des histoires ! Rien n’y change, vous êtes des grands brûlés ! Grillez, grillerez ! Allons-y les suicidaires appuyez sur vos revolvers ! PAN POM PAN ! Même par ce petit trou sanguinolent vous ne vous échapperez pas car après l’enfer il y a l’enfer ! Vous êtes tous morts depuis longtemps, parachutistes et plombiers, goûtez ! Goûtez vraiment ! Même le champagne est mauvais. Vous le savez maintenant spectateurs assis sur vos bancs… Ça ne finira plus, c’est votre faute, bougies grasses qui aviez la lumière, cierges soufflés ! Vous avez si mal vécu avant ! Bien avant ! Bien avant et maintenant tournez ! Tournez écureuils dans la cage d’acier, tournez, toi et ton fils et ton petit-fils et son chien, tournez la roue brûlante ! Tout autour du globe en feu ! Humanité pour toujours entre parenthèses. Car Dieu le veut !

Noir.

 

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